Secrets de photographes
Antoine Berger







Lieu : Nàmafjall (nord Islande)
Boîtier : Nikon FE2
Objectif : Nikkor AF 24mm f2.8
Focale : 24mm
Temps : 1/30 environ
Ouverture : f/11 environ
Film : Velvia
Filtre : Cokin P121 (dégradé gris neutre G2)
Pied + déclencheur souple
Scanner : Minolta Dual Scan Speed



             L'Islande est un pays unique, issu d'une union géologique particulièrement rare entre un point chaud et un rift océanique... De part sa situation géographique (sous le cercle polaire arctique), elle offre un contraste totalement hallucinant entre une lumière polaire unique et des paysages volcaniques hostiles... bref une sorte de rêve naturel pour le géologue et le photographe que je suis.

             Cette photo fait partie d'une série réalisée en août 2001 pendant une campagne de mesure GPS dans le nord-est de l'Islande. La météo, cette année-là, était loin d'être bonne, beaucoup de pluie, de nuages et de vent... une misère pour le géologue mais un bonheur pour le photographe. Comme le temps change très vite, il apporte avec lui de nombreuses éclaircies et trouées de lumières dans les nuages. Ce jour-là, le temps était un peu trop humide pour les mesures, on s'est donc rattrapé sur les sites géologiques faciles d'accès.

             Le site de Nàmafjall est une des plus belles solfatares d'Islande. Les solfatares sont des sources d'eaux chaudes en connexion avec une chambre magmatique en profondeur. L'eau arrive en ébullition chargée en souffre et en minéraux tels que la silice, le calcium, le potassium... tout ces éléments donnent à la boue qui en ressort des couleurs allant du jaune pâle à l'ocre en passant par toute une gamme de gris, de bruns, etc. Ceci offre un paysage unique très coloré et chargé de vapeur, de bouches d'eau et de boues brûlantes, parfois même quelques geysers. Malheureusement, ce site est victime de son accessibilité et est par conséquent très (trop ?) fréquenté. Comme j'aime avoir des photos de paysage avec le minimum d'humains présents j'ai dû m'éloigner de la zone la plus active qui s'offrait comme la plus photogénique. Mon effort a été récompensé 100m plus loin. Dans une zone plus basse, une sorte de dépression accumulait les eaux de pluies ruisselant des solfatares. La boue s'y déposait en une fine argile de couleur ocre. Cette argile, en perdant son eau, se fracture en une multitude de plaques, c'est le phénomène de dessiccation.

             En voyant cette scène, je n'ai pu m'empêcher de m'activer. J'ai donc mis en place mon trépied (dans l'argile... encore bien humide). La lumière était limite pour avoir de belles couleurs. J'ai donc chargé avec une pellicule Fuji Velvia pour saturer un peu plus le paysage un peu terni par les nuages. En Islande, les ciels nuageux sont malgré tout très lumineux contrairement aux sols volcaniques qui sont eux très sombres. J'ai donc fait une mesure (centrale pondérée) sur le sol et une sur le ciel pour estimer la différence de luminosité en valeur de diaphragmes. J'ai obtenu 2 IL de différence. Ce contraste de luminosité m'a conduit à utiliser un filtre dégradé gris neutre G2 (2 valeurs de diaph) pour donner de la densité au ciel qui, sans ça, serait tout blanc. Pour la mesure finale, je me suis mis au diaph f11 après m'être assuré d'avoir tous mes plans nets (testeur de profondeur de champ) et surtout pour profiter du maximum de la qualité des optiques qui sont optimales vers f8-f11. Puis j'ai fait une mesure générale de vitesse avec le filtre ce qui m'a donné au final un couple de f11 à 1/30e de seconde.

             Pour le cadrage, les lignes formées par les fentes de dessiccation offraient une très bonne profondeur à l'image et mon 24mm est l'outil idéal pour rendre tout le dynamisme créé par ces fentes. L'intérêt principal étant l'argile, j'ai donc cadré avec un fort angle de plongée pour avoir 80% de l'image remplie par le cheminement des fentes. Malgré tout, la montagne dans le fond est très importante pour arrêter la fuyante du regard et ainsi permettre à l'œil de rester dans l'image. La montagne permet également de garder un certain réalisme à l'image.

             Enfin, la patience a rendu l'ambiance finale à l'image... dans mes préparatifs j'ai remarqué que des éclaircies se formaient à l'ouest, j'ai donc attendu qu'un rayon veuille bien percer les nuages pour éclaircir la scène... mon attente a été récompensée par ce rayon qui s'est idéalement placé dans le 1/3 supérieur de l'image sans pour autant éclairer la montagne qui garde son ambiance orageuse...