Secrets de photographes
Jean-Sébastien Rossbach





KABUKI genèse d'une poupée cassée


Boîtier : Olympus OM 30
Objectif : Tokina 28mm
Ouverture : f/8
Film : Kodak Gold 100
Matériel d'éclairage : Boite à lumière, une seule source.
Scanner : Epson Perfection 1200
Logiciel : Photoshop 6
Autre : Vieille carte postale



             Pour créer des visuels par photo-montage, pas besoin à mon avis d'être un expert de la prise de vue ni de posséder du matériel photo haut de gamme (Il suffit de jeter un oeil à la liste de matériel ci-dessus pour s'en rendre compte). La photo qui sert de base à notre montage sera tellement malmenée par l'outil numérique que les qualités de prise de vue du photographe seront finalement bien difficiles à percevoir. La photo a été prise en studio, l'éclairage est fourni par une boîte à lumière ce qui assure des conditions optimum et permet d'officier avec n'importe quel reflex d'entrée de gamme. Seul l'achat de Photoshop 6 a demandé un réel investissement financier.

             A la base il y a cette pause assez peu artistique et même plutôt saugrenue de Rachelle, mon modèle. Je lui ai demandé de tenir une table sur sa tête, ne me demandez pas pourquoi, je ne m'en souviens plus :-)) mais une fois le négatif scanné j'ai apprécié la forme arrondie de son visage, forme accentuée par mon objectif 28mm. Elle m'a fait penser à une de ces poupée japonaises aux attitudes si réalistes. Mon idée avait germé.

LE MONTAGE:

             Il est rare que je ne passe pas mes photos en N&B car un montage réaliste ne souffre pas les inévitables différences de chromie entre les diverses sources graphiques utilisées dans l'élaboration du visuel. De plus, on travaille vite sur des fichiers volumineux en multipliant les calques sous photoshop (mes fichiers de travail atteignent régulièrement les 300 Mo). Le fait de passer l'image en N&B diminue son espace disque de moitié environ.


             fig.1: J'ai d'abord découpé le corps de Rachelle en plusieurs parties correspondant à autant de calques: Tête et cou sur un premier calque, bras droit sur un second, main gauche, épaule gauche. J'ai cherché à la désosser pour créer l'illusion d'un corps de poupée avec ses éléments et articulations. Le buste étant l'élément principal sur lequel se greffent tous les éléments d'un mannequin, c'est lui que j'ai choisi comme calque principal sous lequel j'ai fait glisser de quelques millimètres les autres calques. J'ai ensuite passé l'aérographe (avec une buse très petite et une force minime) sur les points de jointure, là où les parties du corps de la poupée sont censées former un repli.

             fig.2: Un vrai visage de poupée se doit d'être bien rond. C'est là qu'intervient l'outil de déformation au doigt. Tout doucement et par touches successives il faut modeler le visage à sa convenance. Ici ce n'était pas très difficile puisque la partie à déformer est cramée et blanche.

             fig.3: Rachelle possède un regard bien trop charmeur pour faire peur à qui que ce soit, et moi j'avais envie de créer un visuel vraiment inquiétant. En sélectionnant le pourtour de l'oeil avec l'outil de sélection et en remplissant l'intérieur de noir, j'otais toute espèce de séduction à mon pauvre modèle.


Tout de suite c'est vachement plus sympa, non ? Ma poupée devient vraiment inquiétante !


Jusque là mon image fait un peu montage amateur. Comme en cuisine, pour que les ingrédients se marient bien il faut une sauce, un liant ! Ce liant, je l'ai trouvé en la "personne" d'une vieille carte postale des années 40 trouvée chez un bouquiniste. Une fois passée en N&B, je l'ai importée dans mon image pour en faire un calque de produit...



             Ensuite tout est affaire de patience. Sur ma carte postale, il y a beaucoup de saletés qui sont autant d'éléments graphiques qui vont donner de la texture, de la matière au visuel. Je vais utiliser l'outil tampon pour amener les salissures les plus intéressantes aux endroits ou elle seront mis en valeur (exemple: cette superbe tache sur le buste). A ce stade je suis assez satisfait car ma "broken doll" est réussie avec ses articulations grossières, sa porcelaine craquelée, son oeil et ses doigts en moins. Il ne me reste plus qu'à aplatir l'image obtenue et à la passer en couleur (RVB) via "variations" dans le menu image.

REVONS UN PEU:

             Souvent j'aime laisser entrevoir dans mes images qu'elles sont à double tranchant, qu'elles recellent un message caché. Kabuki ne déroge pas à cette règle. J'ai placé sur le torse de ma poupée une marque rouge, sorte de pictogramme vaguement japanisant. La position de ses mains laisse à penser que quelque chose d'assourdissant la gêne, d'ailleurs des lettres sortent de son oreille signifiant évidemment le langage de façon symbolique. Ces lettres plus le pictogramme réunis forment le mot Kabuki. Quelle signification apporter à tout cela ? J'ai la mienne, à vous de trouver la votre :-) J'essaie d'inclure une fonction onirique dans mes visuels grâce à des codes symboliques suffisamment évasifs pour que l'on ne déchiffre pas UN message mais au contraire pour que chacun y trouve le sien. Cela implique que l'image va certainement fonctionner auprès des rêveurs, des imaginatifs. Les cartésiens passeront complètement à côté...

UN PEU DE PHILO :-)

             Je voudrais finir en remerciant Cyril de m'avoir offert cet espace pour proposer mon petit cours de montage numérique à ceux qui avaient envie d'en savoir plus sur mon modeste modus operandi. Il est vrai que je reçois beaucoup de demandes émanant de passionnés d'illustration et de retouche numérique. Bien souvent je n'ai pas le temps d'y répondre aussi clairement que je le voudrais. Si je devais néanmoins extirper l'idée maîtresse qui dirige entièrement ma façon de travailler je dirais ceci: ne vous laissez pas aveugler par la formidable puissance de l'outil numérique. Si l'on n'y prend pas garde il nous mène par le bout du nez et le résultat est bien souvent d'une platitude et d'un mauvais goût affligeants. L'idée doit dominer l'outil, pas le contraire. Sous photoshop (ou Painter, ou 3DSMax etc...) demandez-vous toujours quelle est l'idée derrière votre visuel, vous pourrez commencer ensuite à chercher comment la réaliser.